La formation d’adultes, un métier en pleine mutation

Nous sommes dans une salle de formation. Le formateur, debout à l’avant, déroule son exposé. Face à lui, le groupe prend des notes, et pose des questions dans les temps prévus pour cela. On n’interrompt pas inopinément le formateur, qui est la figure d’autorité. Il est l’expert, il dispense un savoir. Parfois, cela va un peu vite pour la prise de note manuelle, mais on y reviendra peut-être à la fin, si on a le temps. A la disposition du formateur, quelques feuilles de papier et un tableau noir, sur lequel il note les informations importantes. Il distribue également quelques polycopiés, que les personnes pourront garder après la formation.

Au troisième rang, une femme semble s’ennuyer. Elle connaît déjà cette partie du programme. Son voisin, en revanche, semble un peu perdu, mais il s’accroche pour mémoriser le maximum de connaissances. Au pire, il reprendra ses notes ce soir, chez lui, et tâchera d’appliquer dans son travail ses nouvelles connaissances pour en comprendre tous les tenants et aboutissants pratiques. 

Au fond de la salle, un homme a abandonné. Sa dyslexie ne lui permet pas de suivre le rythme imposé. Il semble découragé, mais reste, malgré tout, jusqu’à la fin de la formation, car c’est son entreprise qui l’a envoyé ici. Il essaiera d’en discuter avec ses collègues, pour essayer de combler ses lacunes.

Cela vous semble formel ? Magistral ? Théorique ? Rigide peut-être ? Bienvenue dans une formation professionnelle des années 1970. A cette époque, le domaine est en plein essor, et les entreprises commencent à investir dans le développement des compétences de leur personnel. La formation est transmissive ; on est bien loin de la personnalisation des cursus ou de la flexibilité. Point de technologie dans la pédagogie, bien entendu, on n’en est pas à ce chapitre de l’histoire. 

Alors, quelles sont les implications de l’évolution depuis ce format transmissif aux formations que nous connaissons aujourd’hui ? Que reste-t-il aujourd’hui de la façon dont on formait hier ? Et surtout, quels sont nos défis, lorsque nous offrons des formations, quand nous nous confrontons à ces mutations de notre métier ? En voici neuf, qui semblent incontournables lorsque l’on regarde l’histoire de la formation pour adultes, avec quelques pistes de réflexion. 

La digitalisation : une opportunité ou une menace ?

Plongeons dans notre sujet avec une évidence : nos formations sont de plus en plus digitalisées. Certaines s’offrent entièrement en ligne ; d’autres, selon des modalités hybrides ou comodales. Si cela est rendu possible, c’est bien entendu parce que l’offre s’est développée, les technologies se sont affinées, et nos connexions internet se sont stabilisées. Imaginez une formation en ligne avec nos modems du début des années 2000, et leur fameuse petite chanson de connexion ? Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, certes, mais je me souviens pour ma part avoir eu, au départ, un forfait de 20 minutes par mois (!) avec lequel une formation en ligne eut été impossible (j’aurais grillé mes 20 minutes juste avec le temps de chargement des pages). Aujourd’hui, évidemment, on n’en est plus là et les formations en ligne sont devenues légion. 

Toutefois, cela ne crée-t-il pas un fossé malgré tout ? Un double fossé, même. D’un côté, il y a les personnes qui suivent les formations. Certaines auront plus d’aisance avec internet, d’autres, moins d’accès à du réseau. Et de l’autre côté, il y a les personnes qui donnent des formations qui, elles aussi, ont des niveaux d’aisance différents selon leur profil. Créer des formations en ligne, ça ne s’invente pas ; il y a des règles incompressibles, des compétences technologiques nécessaires. Se former à la digitalisation de formation, c’est donc une plutôt bonne idée.

Également, il faut prendre en compte les enjeux d’accessibilité de telles formations. Comment rendre ses formations en ligne plus inclusives, plus faciles à suivre, plus accessibles depuis différents appareils ? Là aussi, c’est un set de compétences que les personnes qui donnent des formations devraient être capables de déployer pour favoriser leur employabilité - et oui, même lorsqu’elles se destinent à la formation en présentiel. Il n’est pas rare de devoir inclure dans ses formations en présentiel des activités technologiques, comme des sondages interactifs ou l’utilisation d’un LMS. Il faut aussi savoir naviguer la relation pédagogique avec ses groupes, sans perdre en proximité et en dynamique de groupe, et en créant malgré la distance géographique un sentiment d’appartenance. La digitalisation permet donc de belles opportunités, à condition de prendre le train en marche. 

L’individualisation des parcours, l’inclusion et l’accessibilité

Modularisation, individualisation… voilà des termes qui n’existaient pas dans le monde de la formation il y a quelques décennies ! On veut aujourd’hui des parcours personnalisés, on ne souhaite plus passer du temps dans une salle si l’on a déjà les compétences dont il s’agit, on met en place des systèmes d’entrées et sorties permanentes, on découpe les formations en bloc de compétences presqu’indépendants…

Et la personne qui offre les formations, nécessairement, se retrouve à jongler. Cela va avec l’exigence de pragmatisme. On ne veut plus d’exposés théoriques déconnectés des réalités : on veut pouvoir utiliser les compétences acquises en formation immédiatement dans son milieu de travail, et ne pas perdre de temps à acquérir des connaissances que l’on juge inutiles. 

De plus, on se rend compte que l’on fait face à des publics de plus en plus diversifiés, et l’inclusion et l’accessibilité sont deux défis majeurs de la formation du 21ème siècle : assurer l’accueil de toutes les personnes, sans discrimination liée à la présentation de nos contenus pédagogiques, et permettre à toutes les voix de s’exprimer pour former un groupe harmonieux, divers et contrasté. 

Il nous faut dorénavant adapter nos méthodes aux besoins spécifiques des groupes et des personnes qui les composent, souvent en temps réel, au fur et à mesure que les situations se présentent. Cela pose des questions, bien entendu : comment maintenir une cohésion de groupe quand les personnes vont et viennent ? Peut-on faire des cursus “à options” sachant ce que cela peut impliquer en termes de ressources humaines et matérielles ? Comment, enfin, conjuguer la variété des attentes avec une approche commune qui favorise un sentiment d’appartenance ?

Dans le même temps, cette individualisation offre une contrepartie réconfortante : un meilleur engagement grâce à des contenus exactement adaptés, des formations plus efficaces et une bonne motivation… Et ça, c’est une belle récompense !

De plus en plus d’entrepreneuriat

De nombreuses personnes qui offrent des formations se tournent désormais vers l’entrepreneuriat. Pourquoi ? La flexibilité que cela leur offre, certainement, ainsi que la liberté de choisir ses partenaires de travail. Pas seulement : la rémunération joue également un grand rôle­. À chaque nouvelle édition du webinaire gratuit “Formations Indépendantes : 10 clés pour vous lancer” que j’offre quelques fois par année, c’est la même chose : les personnes s’inscrivent en nombre, et quand elles ne peuvent être présentes, s’empressent de regarder la diffusion différée. Ce que cela nous indique, c’est qu’il existe un vrai intérêt pour cette question de la formation indépendante, et ce, quel que soit le statut choisi (entreprise individuelle, société, portage salarial, etc.).

L’implication de cette mutation du milieu de la formation est multiple : déjà, parce que cela tend à éclater les équipes pédagogiques, les rendant ponctuelles et liées à une ou deux formations seulement, là où le salariat permet une collaboration suivie. Mais aussi et surtout, parce que cela exige des formateurs et formatrices de nouvelles compétences. La pédagogie (ou l’andragogie !) ne suffit plus : il faut désormais également maîtriser, si l’on souhaite bénéficier des avantages de l’indépendance, des compétences entrepreneuriales.  Il faut savoir fixer des prix, gérer une clientèle, communiquer pour promouvoir ses formations, former des partenariats, gérer un site internet et/ou des réseaux sociaux, etc. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai créé une formation visant à accompagner les personnes qui offrent des formations indépendantes à fixer leurs prix : hélas, les formations déjà existantes, comme le TP-FPA, passent bien vite sur cette question… quand elles l’abordent. Et si l’on est en salariat, et bien, il faut avoir des compétences administratives, voire de gestion. 

Une des grandes difficultés ici, c’est de tout faire : on se voyait créer des ressources pédagogiques, animer des formations, et on se rertouve à s’arracher les cheveux sur la comptabilité. C’est donc une vraie organisation qu’il faut trouver, même si, évidemment, certaines personnes parmi nous y trouvent grandement leur compte !

L’émergence de questions éthiques

Qui dit digitalisation dit… nouveaux questionnements éthiques. Revenons un instant à notre formation stéréotypée des années 1970 ; une feuille d’émargement, quelques polycopiés distribués, et tout le monde repart comme il était venu. Ce que les personnes font de la formation les regarde, et la question éthique se limite, finalement, à des questions régissant les relations interpersonnelles (ce qui est déjà beaucoup en soi !).

En 2024, la question éthique des relations interpersonnelles est toujours là. S’y ajoutent, toutefois, des questionnements entourant les outils digitaux, particulièrement. Quelques exemples :

  • l’utilisation de l’intelligence artificielle pose des questions dans les évaluations, dans les droits de propriété intellectuelle, mais invite aussi à l’accompagnement des groupes sur l’utilisation des données produites par l’IA. Si vous proposez une recherche à faire et que les personnes génèrent des résultats avec ChatGPT, il faudra les accompagner pour faire une utilisation éthique et réfléchie de ces résultats. Cette question infuse donc toute la formation, depuis sa création jusqu’à son évaluation finale.

  • l’utilisation de plateformes en ligne, notamment les LMS, met en lumière la question de la confidentialité des données. Impensable d’offrir des formations sans penser RGPD ! Où vont les données personnelles, comment les stocker, comment les rendre anonymes mais malgré tout exploitables, comment garantir la confidentialité des échanges ? 

  • dans une époque où toute l’information est aisément accessible en ligne à qui sait la chercher, quelle est la plus-value d’une formation ? (c’est bien entendu une question rhétorique, nous savons vous et moi que rien ne remplace la formation, pensée pour être pédagogique ; mais avouez qu’une personne qui n’est pas du milieu de la formation pourrait se poser la question). Comment donc, garantir la qualité des formations ? Comment accompagner la montée en compétence quand il suffit de quelques clics pour trouver des réponses à ses questions ? Il s’agit ici aussi d’une question éthique : offrir des formations en 2024, c’est prendre en compte cette réalité et s’assurer d’une solide assise pédagogique. Délivrer une information de façon magistrale ne suffit plus, et n’apporte aucune plus-value, comme c’était le cas dans les années 1970. L’accès facilité à la formation (les MOOC, les micro-certifications, etc.) viennent également appuyer sur l’importance du développement des compétences des personnes qui donnent des formations, pour apporter une vraie couleur à la formation. 

Des contraintes réglementaires et administratives en augmentation

Impossible de terminer cette liste (pourtant bien loin d’être exhaustive) sans un constat : les règlementations se multiplient et doivent être prises en compte quand on offre des formations. Détenir ou non la certification Qualiopi, obtenir son NDA, remplir son bilan pédagogique annuel, payer sa CFE, rédiger ses conditions générales de vente,

Des normes de qualité sont apparues, nécessaires pour obtenir des financements publics. C’est le cas du bien connu Qualiopi, obligatoire en France depuis 2022 pour qui veut rendre ses formations eligibles au CPF ou au financement par les OPCO, par exemple. Il faut alors s’assurer de répondre à des critères précis, entraînant une augmentation des charges administratives et, parfois, davantage de pression pour être conforme.

La protection des données personnelles, aussi, impose depuis 2018 des obligations en termes de gestion des données (stockage, consentement, suppression des données sur demande, etc.) et engage la responsabilité jurisique des personnes qui donnent des formations.

Les lois sur l’accessibilité des formations imposent également, on en a parlé plus haut, des adaptations des contenus de formation, des formats, des supports.

Qui plus est, le monde de la formation s’est professionnalisé. Alors qu’il suffisait, avant, d’avoir une expertise pour se déclarer formateur ou formatrice, il est de bon ton aujourd’hui de se former. De plus en plus, la certification FPA ou un diplôme universitaire feront la différence à l’embauche, ajoutant de la crédibilité et permettant à l’organisme qui embauche d’obtenir davantage de financements.

Autement dit, la formation est une profession de plus en plus encadrée. Cela représente un défi : à la fois offrir des formations de qualité à la pédagogie irréprochable, mais également, assurer une veille permanente et rester en conformité. Néanmoins, peut-on dire que ce cadrage légal et administratif soit une mauvaise chose ? Probablement pas. Difficile d’aller contre le principe d’accessibilité des formations, ou du droit de chaque personne à disposer comme bon lui semble de ses données. Il s’agit toutefois d’une importante mutation de la profession, à prendre en compte.

La mutation d’une profession, ça peut aussi être positif

Parce que oui, cet article ressemble à une longue liste de tout ce que la mutation de la profession a entraîné de compliqué. Mais disons-le, il y a aussi du très bon :

  • La profession est de plus en plus reconnue. L’expertise des personnes qui l’exercent est de plus en plus valorisée et la formation continue est désormais bien implanté dans les carrières. De plus, à une époque où l’on effectue plus facilement des changements de carrière, la formation professionnelle est un levier important des trajectoires.

  • La technologie, ça a souvent du bon. Surtout quand elle nous permet d’offrir des formations en ligne qui s’accordent aux emplois du temps de chaque personne, qui réunissent autour d’un même sujet des personnes qui sont au quatre coins de la planète, ou qu’elle propose des outils qui rendent les formations très amusantes. L’intelligence artificielle permet même d’automatiser certaines tâches, rendant le quotidien moins fastidieux (même le décrié ChatGPT, vous pourrez découvrir ici des façons de l’utiliser). 

  • Il y a de plus en plus de façons d’offrir des formations. Dans le statut, tout d’abord : il n’a jamais été aussi facile de se lancer à son compte, tout comme il n’y a jamais eu autant d’opportunité (merci, l’essor de la formation professionnelle). On peut choisir d’offrir des formations en ligne, en présentiel, les deux. Synchrones, ou asynchrones. Bref, il n’y a à peu près que notre imagination et notre créativité qui nous limitent.

  • Disons-le, c’est quand même beaucoup plus le fun de créer et animer des escape games pédagogiques, que de lire son exposé magistral devant une salle plus ou moins passionnée. ;) 

Il y a des choses, aussi, qui ne changent pas. La formation, ce sera toujours basé sur la relation humaine, qui est le fondement de l’apprentissage. Ce sera aussi, toujours, basé sur les principes d’andragogie qui guident toute action de formation depuis des décennies. Mais voilà : comme la société évolue, le monde de la formation évolue avec elle. Fût une époque où détenir des compétences dans son domaine suffisait. Aujourd’hui, les formations ont une visée plus holistique : le développement des compétences professionnelles transversales (communication, esprit critique, gestion des émotions, etc.) ou l’accompagnement de la réflexion sur son métier, par exemple, font partie de ce que nous apportons lorsque nous proposons des formations.

Et honnêtement, je ne sais pas vous, mais moi, je préfère ça comme ça.

 
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