Andragogie, pédagogie… Comment les différencier ?

Pédagogie, ça, on maîtrise : on utilise tout le temps le terme. Ingénierie pédagogique, scénario pédagogique, ressources pédagogiques… On voit assez bien à quoi cela fait référence. Mais l’andragogie, est-ce que vous connaissez ?

Ces derniers temps, j’ai pris l’habitude de me définir comme une formatrice en andragogie. Et souvent, je vois un coin de sourcil se lever à cette annonce. Andrago-quoi ? Pourtant, je trouve que ça correspond plus à ce que je fais que si je me définissais comme formatrice en pédagogie. Parce que je m’adresse à vous, et que vous, peut-être à quelques exceptions près, vous formez ou projetez de former des adultes. 

Alors je vous emmène avec moi pour démêler tout ça. On va se parler des définitions des termes, évidemment. Mais je vais aussi vous donner quelques pistes concrètes pour devenir à votre tour un·e andragogue efficace, et donner un coup de boost à vos formations. oui, rien que ça !

Commençons par la pédagogie

Étymologiquement, pédagogie vient du grec paidagôgia (direction, éducation des enfants), qui vient lui-même de paidagôgos (pédagogue), mot composé : pais, l’enfant, et agein, conduire (ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’Académie Française). Autrement dit, la pédagogie, c’est la discipline qui permet de conduire des enfants vers la connaissance. Et une personne pédagogue maîtrise cette discipline, bien qu’il y ait eu au fil du temps un glissement de sens pour la considérer comme maîtrisant la transmission du savoir, quel que soit son public. Mais au fil des siècles, c’est surtout aux enfants que l’on s’est intéressé : de Piaget à Vygotsky en passant par Montessori ou Freinet, pour ne citer que ces personnes-là, on a élaboré successivement plusieurs théories éducatives visant le développement des enfants, qu’il se fasse par stades (Piaget), grâce à l’environnement (Vygotsky), par le jeu (Montessori) ou par la collaboration (Freinet).

On a gagné plein de choses à développer cette connaissance.

Par exemple, l’adaptation du contenu à l’âge, mais aussi au niveau de développement de l’enfant ; la compréhension de l’importance de ses interactions avec le ou la pédagogue, mais aussi avec ses pairs ; l’importance de créer des environnements d’apprentissage stimulants mais aussi sécures. Et tout ça, c’est chouette.

Sauf qu’en vrai, si pendant des siècles la formation formelle était seulement destinée aux enfants, on voit apparaître depuis quelques décennies de la formation d’adultes. Jusque-là, passé éventuellement les études supérieures, on quittait les bancs de l’école et on n’y revenait pour ainsi dire jamais. Sauf que les temps modernes, avec leurs possibilités de reconversion professionnelle et les besoins de formation qui viennent avec, ont un peu bousculé ce qu’on pensait comme acquis : plus question d’arriver dans une entreprise et d’avoir une formation sur le tas, quand une reconversion professionnelle est celle, par exemple, d’un informaticien qui devient maçon !

On y était : il fallait maintenant penser la formation d’adultes.

Maintenant, l’andragogie

Il nous fallait donc un nouveau terme pour distinguer la formation des enfants (on dira plutôt, d’ailleurs, l’enseignement aux enfants, mais la différence entre enseignement et formation est bien trop longue pour être développée ici !) et formation des adultes. On y est donc allés avec andragogie. De andros, l’homme, et on lui a ajouté le suffixe -agogie, comme dans pédagogie, pour indiquer la même idée : celle de conduire, de diriger (cette fois, c’est l’Université de Sherbrooke qui le dit). Il semblerait que le terme soit né au XIXe siècle, mais c’est surtout Knowles qui l’a popularisé. Et paf ! L’idée qu’on ne pouvait pas former les adultes comme on forme les enfants était née, et était prête à changer les formations pour adultes. 

Knowles a donc érigé 6 principes de l’andragogie (selon les sources, on trouve parfois seulement les quatre premiers) : 

  • L’autonomie : les adultes ont besoin d’autonomie pour apprendre, et ont tendance à mieux apprendre quant ils et elles sont responsables de leur apprentissage.

  • L’expérience : les adultes ont une expérience acumulée, scolaire et professionnelle. Elle est une de leurs principales ressources pour l’apprentissage puisqu’elle leur permet de faire des liens entre le nouveau contenu et leurs expériences passées.

  • L’orientation vers la tâche : plus l’apprentissage est orienté vers la résolution de problèmes, plus leur intérêt est grand. 

  • La pertinence : l’apprentissage des adultes est plus efficace lorsqu’il est immédiatement applicable à des situations concrètes et donc, qu’on en voit immédiatement l’utilité.

  • La concrétude : la théorie, c’est bien, mais les adultes ont tendance à préférer un apprentissage centré sur la réalité qu’un apprentissage de concepts.

  • La motivation intrinsèque : la motivation des adultes relève souvent de facteurs internes comme le désir d’amélioration personnelle ou la satisfaction. Est-ce à dire que les adultes n’ont pas de motivation extrinsèque ? Pas du tout. Mais que leur motivation intrinsèque est souvent développée et favorise leur engagement.

Pourquoi la différence compte

Autrement dit, l’andragogie situe l’apprentissage dans un contexte précis : on apprend pour monter en compétence et utiliser cette compétence dans sa vie - professionnelle ou personnelle. Il s’agit donc de reconnaître l’expérience des adultes, leur maturité, leur autonomie et leurs motivations particulières.

Je vais vous raconter une histoire. Un jour, alors que j’intervenais dans une structure, on m’a proposé d’animer une formation qui avait déjà été créée (pas mon exercice préféré, ça, mais soit ; parfois, on a besoin de contrats, hein. 😉). Le déroulé de la formation était comme suit : un exposé magistral unique de groupe en groupe (la formation était donnée plusieurs fois), des exercices sur la mémorisation des concepts exposés, et à la fin, la circulation d’une feuille d’émargement qui conditionnait le déblocage d’une allocation pour les personnes participantes. 

Donc : pas de sollicitation de l’autonomie des personnes qui devaient suivre un contenu pré-établi sans pouvoir intervenir sur l’organisation, la planification, la façon de s’approprier les contenus ; pas d’appui sur les expériences individuelles des personnes, puisque la même formation était donnée en boucle ; aucune résolution de problème, ni aucun lien concret avec des situations problématiques réellement vécues par les personnes ; un renforcement de la motivation extrinsèque avec un chantage financier.

Autant vous dire que cette formation n’avait pas beaucoup de succès. Ennui, désengagement, voire parfois colère… non, vraiment, ça ne fonctionnait pas. 

En fait, on ne veut pas traiter les adultes comme des enfants.

Ce qui ne signifie aucunement qu’on veut mal traiter les enfants, ne leur proposer aucune résolution de problème (au contraire !) ou ne pas encourager leur motivation intrinsèque. Seulement qu’on prend conscience, avec l’andragogie, qu’à chaque type de public correspond une façon de les accompagner.

Avec les enfants, on s’appuie traditionnellement moins sur l’expérience (qui est plus limitée, mais pourtant pas inexistante) car les contenus à apprendre sont davantage des savoirs “de base”, une sorte de culture générale avec laquelle on vise le développement global de la personne, plutôt que la montée en compétence dans un domaine visé. Leur autonomie est en développement : on l’accompagne davantage qu’on ne s’appuie dessus. Bien sûr, il est parfois également judicieux de l’accompagner lorsque l’on est avec des adultes, mais vous voyez ce que je veux dire…

Autre chose également : il y a des réalités de la vie d’adulte qui sont intéressantes à prendre en compte en formation. Par exemple, la formation des adultes se doit de tenir compte d’une réalité très concrète : la multiplication des rôles. Parent, professionnel·le, en formation, citoyen·ne… Ce sont autant de facettes des personnes, autant d’identités qui s’agencent et qui influencent le vécu de formation. Et puis, il y a aussi des réalités biologiques, comme la fatigabilité chez les personnes les plus âgées de nos groupes, les situations de handicap qui répondent à des règles d’accueil strictes, la santé… Ici aussi, ce sont des différences importantes avec les enfants (qui peuvent être en situation de handicap, mais cela est pris en compte différemment grâce à, on l’espère, de plus en plus de postes pour des personnes les accompagnant).

Les principes de l’andragogie pour booster vos formations

L’idée, c’est donc de bien comprendre comment ces principes peuvent être mis en oeuvre afin de rendre vos formations plus efficientes. Reprenons-les successivement, avec quelques pistes d’action dont vous pourrez rapidement vous saisir.

L’autonomie

Une activité très efficace pour favoriser l’engagement des groupes est de les laisser choisir le planning de leur formation. Oui oui ! Cela semble contre-intuitif, mais permettre aux personnes d’organiser les journées comme bon leur semble leur permet de mieux répondre à leurs besoins et développe leur métacognition. C’est quelque chose que je propose souvent dans mes groupes, mais aussi aux personnes que j’accompagne pour mettre en place leurs formations. Et ça marche ! Sinon, de manière générale, permettre aux personnes de mener leurs propres recherches, leurs projets individuels au sein de la formation et leur donner les rênes de leur apprentissage est souvent gagnant. On agit en guide !

L’expérience

Votre meilleure amie ici, c’est l’évaluation diagnostique ! Assurez-vous d’ajouter à vos évaluations diagnostiques des questions concernant l’expérience antérieure de vos groupes par rapport au sujet de la formation. Ensuite, n’hésitez pas à les solliciter pour relater leur expérience et mettre en contexte les contenus de la formation, ou faites régulièrement des liens avec cette expérience lorsque vous présentez le contenu. Vous pouvez aussi demander au groupe s’il a déjà étudié des contenus similaires, si cela lui rappelle des situations professionnelles, etc., et comment cela pourrait l’aider à comprendre le nouveau contenu. Chaque personne vient ainsi enrichir la formation avec ses connaissances préalables, et permet aux autres de se reconnaître ou de se positionner par rapport à cette expérience relatée. Ça peut même créer un sentiment de communauté !

L’orientation vers la tâche

Oubliez les exposés magistraux quand c’est possible (même si parfois, on est d’accord, ce seront eux les plus pertinents), et préférez-leur des défis lancés au groupe : des résolutions de problème, des énigmes, des collaborations…

Stimulez-le en lui proposant de résoudre des défis pour susciter leur attention et leur engagement. Invitez par exemple à découvrir le contenu en faisant des rallyes, des jeux d’évasion, ou si votre groupe aime moins l’aspect ludique de ces activités, tout simplement en faisant des recherches. Pour vous assurer du succès de vos activités, assurez-vous bien entendu de bien les proposer dans la zone proximale de développement du groupe (si vous ne savez pas de quoi il s’agit, il y a une capsule pour vous dans la vidéothèque !).

La pertinence

Puisque la formation d’adultes vise la montée en compétence dans un domaine précis, mettez l’accent sur la façon dont les nouvelles connaissances acquises vont pouvoir être transférées à la vie après la formation. Par exemple, utilisez les milieux de travail des personnes pour vos exemples et mises en situation. Ou, si vous donnez une formation en permaculture de balcon pour des personnes qui souhaitent en faire un loisir, expliquez les bénéfices de cultiver ses propres légumes même quand on habite un immeuble. L’idée, c’est que le groupe ait une idée très précise d’à quoi va lui servir le contenu que vous proposez. Et évidemment, liez chaque nouvelle séance à l’objectif auquel elle répond, pour que le groupe puisse se situer dans l’avancée de la formation et comprendre pourquoi chaque contenu lui est proposé. 

La concrétude

On a parfois besoin de concepts abstraits, de théorie, pour avancer dans la montée en compétence. Après tout, une compétence, c’est certes du savoir-faire, mais également des savoirs sur lequel le savoir-faire s’appuie (et des savoir-être, aussi). Donc, pas le choix souvent que d’en passer par là. Mais lorsque vous présentez des contenus théoriques, essayez le plus possible de les lier à des situations concrètes. Autrement dit, si vous expliquez que l’eau bout à 100 degrés, liez-le à la cuisson des pâtes ! Dans les activités visant la théorie que vous proposez, choisissez des exemples concrets qui vont permettre au groupe de mettre des images sur les mots. Il est plus facile de comprendre le concept de bonheur, très abstrait en soi, s’il est expliqué avec une situation qui permet au groupe de s’imaginer son bien être, sa tranquilité, sa joie, comme par exemple lorsque les personnes sont entourées de proches aimants, l’été, au bord d’un lac… vous voyez l’idée. 

La motivation intrinsèque

La motivation intrinsèque est difficile, voire impossible, à faire naître chez quelqu’un. Par contre, vous pouvez concentrer vos efforts sur le renforcement de celle qui est déjà là, et essayer de ne pas l’etouffer sous des activités qui, elles, renforcent la motivation extrinsèque ! Dès le positionnement à l’entrée en formation, vous pouvez par exemple demander aux personnes quelles sont leurs motivations, ce qui leur plaît dans cette formation, et ce qui les rendrait heureuses d’accomplir pendant ce parcours. Essayez de repérer ce qui relève de la motivation intrinsèque, par exemple la satisfaction de maîtriser de nouvelles compétences, la curiosité intellectuelle, le fait d’assouvir une passion, le sentiment d’accomplissement, etc. Lors de la formation, rappelez ces objectifs plutôt que de mettre l’accent sur la certification ou l’évaluation sommative !





En conclusion, connaître les principes de l’andragogie et les différencier de la pédagogie est essentiel pour bien répondre aux besoins des groupes que l’on accompagne. Est-ce que cela veut dire que l’on n’utilise jamais les principes de la pédagogie ? Certainement pas. On s’appuie dessus, et on les adaptes en prenant en compte les spécificités de notre public adulte. Non seulement cela permet d’améliorer l’efficacité de nos formations (et on veut ça, n’est-ce pas ?), mais cela renforce aussi l’engagement et la motivation de nos groupes. Plus de succès, et aussi plus de plaisir pendant la formation pour tout le monde (vous compris !). Explorez ces principes, adaptez-les à vos contextes spécifiques et observez comment ils peuvent transformer positivement vos pratiques de formation. Et à terme, vous verrez que cela permet de créer des expériences d'apprentissage significatives et enrichissantes qui inspirent et soutiennent le développement continu de chaque personne.

 
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